Procès - Accompagnement et soutien juridique

Marina Sabatier : l’innocence assassinée

12/07/2017 | Mathilde Hirsinger

Marina SABATIER, 8 ans, victime de la barbarie de ses parents, s’éteint en août 2008 suite à l’indifférence des services publics

Le 6 août 2008, en France, Marina SABATIER, 8 ans, succombe aux tortures orchestrées par ses parents. Malgré les nombreux appels à l’aide de sa grand-mère et des directrices d’écoles, les souffrances de Marina restent sans réponse. Bien qu’une première enquête s’ouvre en juillet 2008, le classement sans suite le 10 octobre 2008 conduit à la condamnation de la petite fille. Si le service d’aide sociale à l’enfance (ASE) débute une enquête sociale le 25 mai 2009, la conclusion de celle-ci laisse sans voix : Marina est à nouveau confiée à ses parents malgré les nombreux signalements de maltraitance. La dernière visite de l’assistance sociale au domicile des Sabatier signera l’arrêt de mort de la fillette : en juin 2009 cette dernière conclut à l’absence de danger pour Marina, un mois plus tard la petite fille décède.

Alors, série de négligences, absence de formation adéquate ou bien naïveté des services sociaux face aux déclarations des parents ? Marina a payé le prix de l’indifférence de notre société face au sort des enfants maltraités. Marina a vu son innocence assassinée, par ses propres parents, mais aussi par la complicité des services publics.

 

Les faits

C’est le 27 février 2001 que Marina SABATIER voit le jour : sa mère, Virginie DARRAS, déjà maman d’un petit garçon, accouche sous X mais vient récupérer son enfant un mois plus tard. Si aucune date précise n’est affirmée quant au commencement des sévices subis par la petite fille, ceux-ci débutent certainement très tôt puisqu’à l’âge d’un an Marina a le doigt tordu, prétendument dû à une chute de sa chaise haute. Après cela, la maltraitance physique continue sans relâche : coups et blessures volontaires, douches froides, privations de nourriture sur plusieurs jours, maintien de la tête sous l’eau jusqu’à suffocation et autres sévices corporels.

 

Un premier avertissement sans suite

C’est la sœur de Virginie DARRAS qui, la première, tire la sonnette d’alarme après avoir assisté à des coups portés sur la petite fille. Après avoir averti la grand-mère de Marina, cette dernière prévient les services sociaux qui ne donneront aucune suite à ce signalement. Suite à ces premiers avertissements, les parents de Marina, afin de brouiller les pistes, multiplient les déménagements : la petite Marina passe d’école en école et c’est de façon répétée que les enseignants et directrices constatent des ecchymoses. Après le déménagement de la famille dans la commune de Saint-Denis-d ’Orques (Sarthe), la directrice d’école, soutenue par le médecin scolaire, averti les services sociaux des soupçons de maltraitance sur la personne de Marina SABATIER, alors âgée de 7 ans.

 

Une première enquête bâclée

Une première enquête s’ouvre alors en juillet 2008. Un interrogatoire de la petite fille a lieu le 23 juillet, entendue seule par deux gendarmes, elle apparaît souriante, enjouée et, comme de nombreux enfants victimes de maltraitance, préserve ses parents en donnant, pour chaque blessure constatée, une explication naturelle. En ce sens, elle accrédite les dires de son père, Éric SABATIER, qui justifie les lésions par des accidents de la vie courante.

Le procès, tenu en juin 2012, révélera la pression morale infligée par les parents de Marina et si souvent prisée des parents coupables de maltraitance : si Marina parle, Marina perdra ses parents. Si Marina dit la vérité, papa et maman iront en prison à cause d’elle. Si Marina explique ce qu’il s’est passé, Marina ne reverra plus jamais papa et maman. Donc Marina doit se taire.

Suite à cette enquête dont l’issue est fondée sur les interrogatoires des parents et de la petite fille, l’affaire est classée sans suite le 10 octobre 2008. Jamais les gendarmes en charge de l’enquête ne rencontreront les fonctionnaires à l’origine du signalement.

 

L’enquête de l’ase, dernière chance pour Marina

Suite à de nouveaux signalements donnés par le directeur d’école de Marina, l’ASE demande l’ouverture d’une enquête concernant la famille SABATIER en raison d’un absentéisme récurrent de la petite fille à l’école, de nombreuses blessures inexpliquées et d’un comportement qualifié de « boulimique » par le directeur d’école. Les services sociaux devront attendre deux mois et demi pour pouvoir ouvrir une enquête sociale qui débute le 25 mai 2009. Entre temps, le 27 avril, Marina rentre des vacances scolaires gravement blessée au pied : c’est alors la directrice de sa nouvelle école (suite à un nouveau déménagement à Coulans-sur-Gée) assistée du médecin scolaire qui l’envoie en urgence à l’hôpital où elle restera cinq semaines. Malgré les soupçons de l’équipe médicale et l’avertissement donné aux services sociaux qui atteste des suspicions de maltraitance, Marina est renvoyée chez ses parents le 28 mai 2009.

Bien qu’il existe de lourdes présomptions de maltraitance à l’encontre des parents, l’assistante sociale, venue rendre visite à la famille SABATIER en juin, conclut en l’absence de danger pour Marina dans son cadre familial.

C’est suite à cette énième négligence que Marina s’en est allée, le 6 août 2009, dans l’indifférence générale.

 

Le procès : justice rendue, vraiment ?

Si Marina décède le 6 août 2009, ce n’est que le 9 septembre, soit plus d’un mois après, que le père va alerter la gendarmerie de la disparition de sa fille. Durant trois jours, les gendarmes cherchent la petite fille, jusqu’à ce qu’ils remarquent de flagrantes contradictions dans le récit des parents. Face à leurs discordances, les parents finissent par avouer l’impensable : Marina est décédée suite aux coups qu’ils lui ont portés. Le père, Éric SABATIER, conduit les enquêteurs au corps de la petite fille de 8 ans, coulé dans le béton à l’intérieur d’une caisse en plastique.

Le procès des parents a lieu en juin 2012 devant la cour d’assises de la Sarthe. Innocence en Danger, ainsi que trois autres associations de protection de l’enfance, se sont constituées partie civile. Les parents reconnaissent les faits et se voient condamnés à trente ans de réclusion criminelle accompagnés d’une période de sûreté de vingt ans. Une peine exemplaire, mais sont-ils les seuls coupables de la mort de Marina ? L’avocat général, Monsieur Hervé DREVARD, déclare que Marina a été insuffisamment protégée, du fait notamment du « manque de clairvoyance des professionnels chargés de la protection des mineurs, dans lesquels j’inclus bien évidemment le parquet » (http://france3-regions.francetvinfo.fr/pays-de-la-loire/2012/06/25/30-ans-au-moins-requis-contre-les-parents-de-marina-37945.html).

En effet, la responsabilité de l’Etat n’est pas sans rappeler l’affaire GOUARDO (https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Gouardo), dans laquelle les services publics (gendarmes, médecins, services sociaux) ont préféré fermer les yeux plutôt que révéler au grand jour les sévices innommables subis par Lydia GOUARDO. Mais pour Marina, l’indifférence, la lâcheté et la négligence de certains services publics ont conduit à sa mort. Les dysfonctionnements du système de protection de l’enfance doivent être pointés du doigt, afin d’éviter d’autres Marina, afin de protéger nos enfants, afin de prévenir plutôt que de réprimer, afin d’éviter les décès, afin d’éviter l’assassinat de l’innocence.

 

L’implication d’Innocence en Danger

Innocence en Danger s’est constituée partie civile dans le cadre de l’instruction : L’association vient en soutien à l’intérêt des victimes et contribue activement à la recherche de la vérité. En effet, en tant que partie civile, elle peut, durant l’instruction, réaliser des demandes d’actes devant le juge d’instruction. Il peut s’agir de contre-expertises, compléments d’expertises, audition de témoins, etc… que le juge d’instruction est libre d’accorder ou non. Elle a en cela été accompagnée par trois autres associations de protection de l’enfance qui se sont également portées partie civile.

Innocence en Danger a déposé plainte en 2012 contre l’État pour faute lourde : suite aux nombreuses négligences de certains services publics ayant entrainé le décès de Marina, l’association, représentée par Maître BRIARD et Maître BEAUTHIER, a demandé la condamnation de l’État Français du fait de ces dysfonctionnements avérés. Le Tribunal d’instance de Paris, dans sa décision du 6 juin 2013, ne reconnaît pas cette faute lourde. L’association se pourvoie alors en cassation mais la cour de cassation dans son arrêt du 8 octobre 2014, confirme la décision rendue en premier ressort. Pourtant, le rapport du Défenseur des droits (autorité constitutionnelle indépendante chargée notamment de la protection des droits de l’enfant) mentionne de façon non-équivoque les nombreux éléments factuels démontrant l’inertie et la négligence des services sociaux et des membres du corps médical.

Innocence en Danger saisit la Cour Européenne des Droits de l’Homme : suite à l’épuisement des voies de recours internes, l’association représentée par Maître Grégory THUAN (ancien Référendaire à la Cour Européenne des Droits de l’Homme), a choisi de saisir in fine la Cour de Strasbourg afin de faire condamner l’Etat Français. La requête a été enregistrée par la Cour et devrait prochainement être communiquée au Gouvernement français pour observations. L’association publie un communiqué de presse afin d’expliquer sa démarche.

Innocence en Danger appelle au rassemblement en hommage à Marina : un rassemblement de grande ampleur est organisé à Paris le 13 octobre 2016 suite à un communiqué de presse de l’association (https://comitecedif.wordpress.com/2013/09/27/innonce-en-danger-appelle-a-se-rassembler-pour-marina/ ).

Innocence en Danger contribue à l’inauguration du Jardin de Marina : l’association soutient le mouvement citoyen « Une pensée pour Marina » à l’origine du projet, ce mouvement a adressé une demande au maire d’Ecommoy (dernier lieu où a séjourné Marina), Monsieur Sébastien GOUHIER, afin de créer un jardin en hommage à la petite fille, décédée dans la commune. Le maire accepte le projet et l’inauguration du Jardin de Marina a lieu le 8 juin 2014 (http://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/ecommoy-le-jardin-de-marina-ete-inaugure-2612824 ).

 

Informations complémentaires

Où en est l’affaire ? Le procès a eu lieu et le verdict a été rendu. Mais une requête est actuellement devant la Cour européenne des droits de l’Homme, elle a passé le premier filtre et a été communiquée au Gouvernement français. 

Avocat général lors du procès : Monsieur Hervé DREVARD. 

Les médias en parlent :

En savoir plus sur la Cour Européenne des Droits de l’Homme : la CEDH en 50 questions à http://www.echr.coe.int/Documents/50Questions_FRA.pdf