Lettre ouverte à Messieurs Lecerf et Poiret

IED • oct. 07, 2024

LETTRE OUVERTE

 

Paris, le 7 octobre 2024 


À Messieurs Jean-René Lecerf et Christian Poiret, respectivement ancien président et président actuel du Conseil départemental du Nord, responsables de l’Aide sociale à l’enfance, 

Nous rappellerons très succinctement que l’Aide sociale à l’enfance est un service social non personnalisé du département, placé sous l’autorité du président du Conseil départemental. 


Les titres des journaux sont gros : 

« Aide sociale à l’enfance : des mineurs placés illégalement »

« Enquête sur les défaillances de l’Aide sociale à l’enfance »

« Stupéfaction après des révélations de maltraitances sur des mineurs placés dans des familles du Limousin »

Comment les ignorer ? Comment fermer les yeux ? Pourquoi agir comme si vous n’étiez pas informés de la situation ? Comme si vous n’aviez pas su ?

Ne pensez-vous pas que vous avez votre place sur le banc des prévenus, aux côtés de ces familles d’accueil qui sont, selon leurs propres mots, vos « petites mains » ?

« Stupéfaction » ? Vraiment ? Étiez-vous stupéfaits en lisant la une des journaux posés sur votre bureau ? 


C’est un procès d’une dimension hors norme qui s’ouvre devant la Chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Châteauroux, dans une huitaine de jours. 

Des dizaines d’enfants confiés, pour leur malheur, à l’ASE du Nord, déplacés illégalement entre 2010 et 2017, et remis sans aucun contrôle à des prétendues familles d’accueil (oui c’est bien le mot) non autorisées à les recevoir, dans plusieurs départements de France, ont subi d’innombrables violences au fil des années. 

Dix-huit prévenus font face à sept chefs d’accusation dont « violences commises en réunion, soumission à des conditions d’hébergement indignes, administration de substances nuisibles avec préméditation ou guet-apens, exécution en bande organisée d’un travail dissimulé, accueil collectif de mineurs sans déclaration préalable »…

Qui sera jugé coupable ? C’est bien là tout l’enjeu de ce procès. 


Et pourtant, le principal responsable de ce désastre, celui par qui tout fut permis, est-il vraiment sur le banc des prévenus ? 

Dans l’opinion publique, c’est l’Aide sociale à l’enfance le grand méchant. C’est l’organisme lui-même et les personnes qui étaient à sa tête qui sont à blâmer. C’est VOUS, messieurs, qui êtes montrés du doigt. 

Or ! Ni l’ASE, ni le département, ni le Conseil départemental, ni son ancien président ni son président actuel n’ont été accusés. Ce dernier demeure même libre de continuer à exercer ses fonctions, toujours responsable de centaines d’enfants… 

Hors normes, nous disions. 


Monsieur Lecerf, Monsieur Poiret, 

Vous avez failli à votre rôle, à votre mission première, qui était la protection de ces enfants. Il est indéniable qu’aujourd'hui vous devriez répondre de ces faits devant la société, pour l’avenir même de l’Aide sociale à l’enfance. Sans cela, l’ASE deviendra un organisme dont on se méfiera. Sans cela, l’ASE n’aura ni continuité, ni pérennité. Sans cela, l’ASE ne changera pas. 

Car oui, cette affaire pourrait-être de celle qui secoue la société, qui fait changer la donne et qui fait parler ceux qui sont bien trop souvent silencieux car meurtris par leur enfance. 


Par vos carences, ces enfants ont vécu le pire. Accueillis dans des familles, ils ont été confrontés à des violences physiques et morales à répétition. Ils ont reçu des claques, des coups de poing, des coups de tête, des coups de pied, des coups de cravaches ; ils ont subi des étranglements, des menaces au couteau, ils ont eu la tête enfoncée dans les toilettes ; on les a dénudés, on leur a uriné dessus, on les a drogués. 

Et la rue criera : « Mais comment cela est-il possible ? Pourquoi ces enfants ont-ils été placés dans ces familles ? Comment laisse-t-on aujourd'hui ce genre de personnes accueillir des enfants ? »

Oui Monsieur Lecerf, oui Monsieur Poiret ! Comment cela est-il possible ? Les murs de vos Palais sont-ils si épais que vous ne puissiez rien entendre ? 


Et nous de répondre : Vous avez fermé les yeux ! Vous avez condamné ces enfants à vivre l’enfer pendant des années alors que votre rôle était précisément de les protéger ! 

Tout cela n’est pas nouveau. Il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg qui n’est plus qu’à quelques affaires de la noyade. Le service tout entier est dysfonctionnel face à l’augmentation croissante du nombre d’enfants à placer. 

Nous dénonçons ! 

Les enfants sont répartis dans différentes structures associatives ou sociétés privées avec lesquelles l’ASE conclut des contrats. Or, peu regardant sur le passif ou les motivations de ses délégataires, le service social départemental condamne ses enfants, trop souvent placés à la merci d’amoureux du profit. 

Certaines sources rapportent : « Plusieurs centaines d’euros par jour et par enfant ». De quoi attirer des convoitises… 


Pour un nombre effrayant de personnes, ce que cette lettre ouverte rapporte n’est que redite, alors que je crois profondément qu’elle a le pouvoir de changer les choses. 

Pour autant, nous ne vous apprendrons pas qu’ouvrir la boîte de Pandore est très dangereux. Si nous mettons un coup de pied dans cette fourmilière qu’est aujourd'hui l’Aide sociale à l’enfance, que deviendront ces enfants ? Quel système remplacera cet organisme ? Pour quelque chose de meilleur ou pour pire encore ? 

Cela étant dit, je vous demande Monsieur Lecerf et Monsieur Poiret de prendre vos responsabilités et de venir à la barre. Nous saurons vous y faire une place pour qu’enfin, vous puissiez répondre des actes de l’Aide sociale à l’enfance du Nord, placée sous votre responsabilité. 

Que cette affaire marque la fin de l’oppression subie par d’innombrables enfants placés sous l’égide d’un organisme censé leur « apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique » (C. action soc. et des fam., art. L.221-1). 



Homayra SELLIER


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